Une réponse aux crises du système financier international: le Forum de stabilité financière
Speech by André Icard at the XVI Journèes Internationales d'Économie Monètaire et Bancaire GRIEF Universitè de Poitiers, 10 June 1999.
La fin de ce siècle laissera dans les ouvrages d'histoire économique la trace d'importantes et fréquentes crises du système financier international. Le Mexique, en 1995 ; la Thaïlande, l'Indonésie, la Malaisie et la Corée, en 1997 ; la Russie et le Brésil en 1998 ont été successivement touchés par une grave crise affectant leur solvabilité extérieure et révélant de profondes faiblesses de leurs structures économiques et de leur système financier. Dans tous les cas, un programme de soutien massif a dû être mis en place par la communauté financière internationale, ce qui n'a pas empêché les économies correspondantes de devoir traverser une phase d'ajustement longue et pénible.
Comment expliquer que les leçons de la crise mexicaine n'aient pu conduire à la prévention des autres ? Quelques explications - qui ne prétendent pas à l'exhaustivité - peuvent être avancées :
1. Il faut noter d'abord que la nature des crises a évolué avec le temps. Si la crise latino-américaine des années 80 mettait face à face les banques internationales (créditrices) et les gouvernements (débiteurs), la crise mexicaine de 1995 substituait le marché aux banques internationales, du côté des créanciers. Celle d'Asie opposait les banques internationales à nouveau avec cette fois des débiteurs privés. Ainsi se manifeste une tendance à la désintermédiation du côté des prêteurs et à l'atomisation du côté des emprunteurs, ce qui rend plus difficile la gestion des crises par les institutions publiques internationales et plus nécessaires que jamais de bonnes politiques de prévention.
2. La crise mexicaine avait été résolue rapidement, avec le concours, il est vrai, d'un programme de soutien massif, d'un montant jamais atteint jusqu'alors ($50 milliards). Ce précédent a pu laisser croire que la même recette, appliquée à d'autres cas, produirait des effets semblables. La nature différente des agents économiques impliqués dans la crise asiatique, comme indiqué ci-dessus, nécessita d'autres initiatives et des procédures plus longues et plus complexes. Ceci n'empêcha pas au demeurant une inflation des montants que les institutions internationales ont dû mettre en oeuvre pour stabiliser les marchés et calmer les anticipations ($20 milliards pour la Thaïlande, $40 milliards pour l'Indonésie, $57 milliards pour la Corée).
3. Dans tous les pays asiatiques touchés par la crise - à l'identique du Mexique, mais à la différence notable du Brésil - le secteur financier a témoigné d'une extrême faiblesse et d'un défaut de surveillance. À la suite de la crise mexicaine, le comité de Bâle avait bien établi les principes fondamentaux sur la supervision bancaire - core principles - devant servir de base au renforcement des structures financières des pays émergents. Publiés en septembre 1997, ces principes fondamentaux n'ont pu connaître ne serait-ce qu'un début de mise en oeuvre avant la crise asiatique.
4. Si cette dernière a semblé prendre de court la communauté financière et les institutions publiques internationales, on a cependant observé un tournant significatif dans les modes de préparation du programme de soutien et de gestion de crise, en ce qui concerne le Brésil : le considérable effort de réflexion et de réforme entrepris après la crise asiatique, dans le cadre notamment du « Willard Group » (voir sur ce point la partie II), a commencé à porter ses fruits. Tout d'abord, le programme d'ajustement macroéconomique qui, dans le cas des pays asiatiques, a été mis au point sous la pression des événements a, dans le cas brésilien, été négocié volontairement avec le FMI, de manière semi-préventive avant le déclenchement d'une crise majeure. Si celle-ci s'est produite au début de 1999, sous forme d'une chute brutale du real, c'est en raison du retard apporté à la mise en oeuvre du programme par les instances parlementaires du pays. Les montants mis en _uvre par les organismes internationaux se sont inscrits en retrait relatif par rapport aux expériences précédentes : $42 milliards pour la neuvième économie mondiale. Enfin, le FMI ($18 milliards), la Banque mondiale et l'IADB ($9 milliards à elles deux) n'ont pas porté toute la charge du financement :
- un prêt de $13,3 milliards a été consenti par la BRI avec la garantie de 19 banques centrales ; parallèlement, un financement de $1,2 milliard a été accordé directement par la Banque du Japon ;
- les banques internationales sous le contrôle des banques centrales ont dû figer leurs lignes de financement, alors que le secteur privé n'a été qu'assez peu et tardivement sollicité lors de la crise asiatique.
Dans les développements qui suivent, nous tenterons tout d'abord de dresser un constat des diverses crises apparues au cours des dernières années, afin de déterminer les constantes et, partant, les challenges principaux auxquels les autorités publiques se trouvent confrontées. Nous examinerons ensuite, dans une seconde partie, les réponses apportées avec, notamment, l'activité du Willard Group et la création récente du Forum de stabilité financière.
I. Caractéristiques communes des crises récentes
Une analyse détaillée des différentes crises financières qui ont secoué les marchés mondiaux permettrait de faire ressortir un certain nombre de différences, en fonction des pays concernés. Nous avons déjà vu (§ 1 de l'introduction) que les créances étaient tantôt des prêts bancaires internationaux, tantôt matérialisées par des titres et que les débiteurs pouvaient être soit des gouvernements, soit des agents du secteur privé bancaire ou non bancaire. Au-delà de ces différences fondamentales, qui appellent des réponses différenciées, on peut aussi trouver des caractéristiques particulières qui découlent des structures économiques et politiques, des modes de gestion et de surveillance, du degré d'ouverture internationale, de l'histoire, des traditions, etc.
Mais, à l'inverse, on observe aussi de manière très frappante des constantes fortes dans toutes les crises majeures apparues récemment. C'est bien évidemment à la solution de ces problèmes que les autorités financières internationales doivent s'atteler en priorité. Ils relèvent de quatre domaines principaux :
- déséquilibres macroéconomiques ;
- faiblesses structurelles, en particulier dans le domaine financier ;
- instabilité des flux internationaux de capitaux ;
- plus grande diversité des acteurs.
1) Déséquilibres macroéconomiques
On constate tout d'abord que tous les pays qui ont connu des difficultés au cours des années récentes appliquaient un système de changes fixes qu'ils ont défendu au-delà du raisonnable. Dans tous les cas, un changement de parité aurait dû intervenir beaucoup plus tôt et, en tout état de cause, autrement que sous la pression irrésistible des marchés.
Faut-il pour autant considérer qu'il n'existe aucune voie intermédiaire entre le flottement total des monnaies et l'intégration dans une zone monétaire ? Il ne semble pas qu'un tel choix réducteur soit de nature à répondre aux besoins des pays émergents. Maintenir la stabilité des prix en régime de changes flottants est sans doute beaucoup plus difficile pour un pays émergent encore fragile que pour un pays économiquement très avancé. L'intégration dans une zone monétaire, tout comme la fixation de parités dans un régime de Currency Board, peut conduire à de graves déséquilibres si les liens économiques avec le pays émetteur de la monnaie de référence ne sont pas suffisamment étroits. Un effort devrait être entrepris pour rétablir des régimes de changes fixes mais suffisamment ajustables, au besoin par l'usage de systèmes de paniers de monnaie.
Outre ces problèmes de système de change, des déséquilibres macroéconomiques complémentaires ont été constatés dans tous les pays examinés. En Asie, il s'agissait le plus souvent de problèmes de compétitivité externe ; dans le cas de la Russie et du Brésil, le principal problème était celui du déséquilibre du budget de l'État.
De plus, il faut observer que, s'agissant des pays asiatiques, les afflux de capitaux étrangers, dont il sera question au § 3 ci-après, sont venus s'ajouter à des taux d'épargne très élevés, provoquant un excès de financement, au travers d'un système bancaire fragile et mal géré, et finalement une bulle spéculative dont l'éclatement a précipité la crise.
Celle-ci a connu partout ses premières manifestations sous la forme d'une crise de liquidité extérieure témoignant - autre caractéristique commune - d'un problème de structure de dette, lié à un financement externe trop fortement concentré sur les lignes à court terme.
Tous ces déséquilibres macroéconomiques étaient parfaitement décelables par des équipes d'économistes exercés. Ils l'ont d'ailleurs été le plus souvent, mais ceci n'a pas conduit aux décisions qui auraient pu permettre d'éviter l'émergence de la crise en Asie. Tout d'abord, le facteur aggravant lié au mauvais état des systèmes financiers en place n'a sans doute pas suffisamment été pris en compte. Les déséquilibres macroéconomiques recensés auraient pu se poursuivre quelque temps ou être résorbés à moindre coût si les secteurs bancaires nationaux avaient été plus résistants. L'analyse macroéconomique, trop isolée des préoccupations macroprudentielles, s'est avérée trop étroite. Il faut ajouter que les procédures de surveillance en place, spécialement celles touchant aux consultations dites de l'article IV des statuts du FMI, n'ont pas permis de prendre en temps opportun les mesures qui auraient pu éviter la crise.
L'amélioration des procédures de surveillance et de prévention constitue un enjeu essentiel. Déjà des mesures ont été prises dans la bonne direction : l'évaluation des systèmes financiers des pays émergents par référence aux standards internationaux établis en particulier par le Comité de Bâle fait désormais partie intégrante des missions du FMI et des procédures décisionnelles de la Banque mondiale ; de même, la possibilité est maintenant ouverte de publier les analyses liées à la procédure de l'article IV, avec l'accord des pays concernés.
2) Faiblesses structurelles dans le système financier
Une des principales caractéristiques des crises mexicaine et asiatique a été l'apparition au grand jour des faiblesses intrinsèques des systèmes financiers des pays concernés. Des systèmes bancaires faibles, mal gérés et souvent mal contrôlés, et des marchés de capitaux souvent encore embryonnaires ont conduit à une mauvaise allocation des ressources. L'effondrement consécutif d'une partie du système bancaire sous le poids des impayés et de positions de change inconsidérées a été un facteur aggravant des crises et un élément puissant de transmission des difficultés de la sphère financière vers la sphère réelle.
Il est donc de première importance de renforcer la structure financière des pays émergents afin de réduire les risques de crises et d'en limiter les effets. La politique pour ce faire consiste à mettre en place des moyens efficaces de supervision bancaire, de bons systèmes de paiement, des règles claires de comptabilité et de transparence. Ceci nécessite une étroite coopération internationale pour la définition des standards et une ferme volonté locale de les mettre en pratique.
La coopération internationale s'est clairement manifestée par la mise au point rapide de standards. La voie a été ouverte par le Comité de Bâle sur la supervision bancaire qui, en septembre 1997, a rendu publics les 25 principes de base - core principles - régissant la supervision bancaire. Depuis, d'autres documents de ce type ont été établis, en particulier dans le domaine de la surveillance des compagnies d'assurances et des maisons de titres et d'investissement ainsi que dans celui des systèmes de paiement. Ces standards, établis en concertation avec les pays émergents, constituent une base solide de progrès ; ils doivent être complétés dans des domaines tels que les règles comptables, les procédures de faillite, les règles de transparence des agents financiers, etc.
On l'a dit, le suivi de la mise en oeuvre dans les pays émergents des standards internationaux relatifs aux systèmes financiers relève désormais de la compétence du FMI, qui intégrera cette dimension dans le champ de la surveillance exercée au titre de l'article IV. Cette surveillance, qui n'exclut pas d'ailleurs celle que pourrait exercer le marché lui-même, devra cependant tenir compte des délais qui seront nécessaires pour aboutir à des résultats tangibles, surtout dans les pays les plus en retard. Une bonne dose de formation et d'assistance technique sera requise, en tout état de cause.
3) Instabilité des flux de capitaux
Les statistiques régulièrement publiées par la BRI donnent une idée claire de l'évolution des flux de financement internationaux au profit des pays émergents et font ressortir leur grande instabilité.
Vers les neuf principaux pays asiatiques les flux nets de capitaux étaient de l'ordre de $33 milliards par an de 1990 à 1995. En 1996, ce sont $81 milliards qui ont pris le chemin de ces pays. En 1997, après un premier semestre durant lequel les tendances antérieures se sont poursuivies, un brusque retournement s'est produit, au point que, sur l'ensemble de l'année, les flux financiers nets ont été négatifs de $45 milliards. 1998 a prolongé ce mouvement avec $69 milliards de désengagements sur l'ensemble de l'année. Les réductions d'encours se poursuivaient encore au premier trimestre de 1999, bien qu'à un rythme plus faible.
Ainsi, à un excès de financements internationaux, que l'on pourrait qualifier d'irréfléchi et qui a contribué au développement d'une bulle spéculative - boursière et immobilière -, a succédé brutalement, dès les premiers signes d'affaiblissement du baht thaïlandais, un phénomène prononcé et prolongé de reflux, amplifiant la crise et la généralisant à l'ensemble de la région.
De tels phénomènes, de cette ampleur, sont pénalisants pour les emprunteurs au premier chef mais aussi pour les prêteurs et le marché en général.
Comment assurer des flux plus réguliers de financement vers les pays émergents et éviter la tendance aux comportements grégaires, si fréquemment observés ? Quatre thèmes méritent d'être évoqués à ce propos.
a) Une des suggestions parfois émises touche au domaine réglementaire. Écartons d'entrée l'hypothèse potentiellement séduisante mais matériellement irréalisable d'une taxe universelle de type « Tobin ». Écartons aussi l'idée d'un contrôle à la sortie des capitaux après une phase de totale liberté à l'entrée, espérant que l'expérience malaysienne restera une exception.
Dans les pays qui n'ont pas libéralisé leurs mouvements de capitaux et qui pratiquent encore un contrôle des changes, un large consensus semble s'établir pour recommander de ne libéraliser que progressivement, au fur et à mesure du renforcement des structures financières du pays. Le FMI a d'ailleurs établi des normes en vue d'une bonne séquence des mesures de libéralisation.
Pour ce qui est des pays qui ont déjà libéralisé leurs marchés de capitaux, l'idée qu'une protection contre des entrées indésirables de capitaux peut être légitime est aussi largement acceptée, surtout si les techniques mises en oeuvre (par exemple, sous forme de réserves obligatoires) respectant les principes de fonctionnement du marché. Le Chili a appliqué avec succès de telles mesures.
b) Un autre domaine de réflexion touchant à l'instabilité des mouvements de capitaux relève du partage des flux entre court terme et long terme. Une attention plus grande devrait être portée aux échéances de la dette afin d'éviter une trop grande concentration à court terme. À cet égard, l'erreur commise par certains pays consistant à se montrer libéral sur les flux de capitaux à court terme et, au contraire, restrictif sur les flux à long terme, et spécialement sur les investissements directs, devrait être évitée à l'avenir.
c) L'amélioration de l'information est souvent présentée comme un moyen de renforcer l'autonomie de jugement des acteurs et donc de réduire les comportements grégaires. Immédiatement après la crise asiatique, un certain nombre de mesures ont été prises ou envisagées sur l'idée qu'une meilleure information aurait pu, sinon prévenir la crise, du moins éviter la montée des déséquilibres, accélérer les ajustements et limiter les effets de contagion.
Du côté du secteur privé débiteur - bancaire ou non bancaire - dans les pays asiatiques, des insuffisances manifestes sont apparues dans la fréquence et la qualité des informations fournies aux créanciers ainsi que dans les procédures comptables et de surveillance des risques. Dans ces différents domaines, des standards sont en cours d'élaboration, lorsqu'ils n'existent pas déjà. Après la crise mexicaine, le FMI a établi des standards de diffusion de données macroéconomiques, les « Special Data Dissemination Standards - SDDS », applicables aux pays souhaitant avoir accès aux marchés internationaux de capitaux. Or, la crise asiatique a révélé un besoin de renforcement de ces standards, en particulier dans les domaines des réserves, jusqu'ici trop exclusivement fondées sur le concept de réserves brutes et de la dette extérieure. Des standards renforcés seront mis en place sur ces deux points au plus tard en l'an 2000.
Enfin, s'agissant des organismes internationaux, un effort a été réalisé pour rendre les statistiques bancaires internationales de la BRI plus complètes et plus rapidement disponibles ; de même, un effort a été demandé pour que le FMI soit plus transparent et plus explicite sur ses évaluations d'ordre macroéconomique (cf. § I.1 ci-dessus).
d) L'amélioration de la transparence et des systèmes d'information constitue certes un axe de progrès important, elle ne saurait toutefois provoquer à elle seule une rupture dans les comportements moutonniers. De même, les insuffisances constatées dans ce domaine ne peuvent expliquer la myopie dont les banques internationales ont fait preuve, car la masse d'informations disponible déjà en 1996 et 1997 était loin d'être négligeable et ne pouvait laisser de doute sur le caractère excessif de l'endettement de certains pays. La réalité démontre en fait une faiblesse dans la gestion des risques de crédit. Les décisions de prêts ont été trop souvent fondées sur des critères financiers ou stratégiques, plutôt que sur des analyses économiques. Parfois, les services de risques n'ont pas vu la montée des périls ; parfois, ils ont été clairvoyants mais leurs arguments n'ont pas été pris en considération par la direction. Il paraît de première importance de renforcer la qualité des analyses et surtout le poids que les avis des services de risques doivent avoir dans les processus décisionnels. Le Comité de Bâle sur la supervision bancaire a renouvelé ses recommandations en la matière. Un effort dans ce domaine paraît indispensable.
La crise mexicaine a, pour la première fois, posé le cas d'une dette titrisée répartie dans une multitude de portefeuilles. Par certains côtés, la crise russe partage cette caractéristique. Ceci soulève une difficulté supplémentaire pour la gestion de la crise: comment associer les porteurs de titres aux décisions concernant un éventuel ajustement de la dette ? Trois questions techniques se trouvent posées ; leur solution passerait par l'inclusion de clauses nouvelles dans les contrats d'émission :
- Comment empêcher qu'une fraction marginale des porteurs puisse mettre obstacle à une négociation de rééchelonnement de l'émission rendue nécessaire par la situation financière du pays débiteur et acceptée par la grande majorité des porteurs (majority action clause) ?
- Comment aboutir à une représentation collective des créanciers permettant au débiteur de poursuivre des négociations en temps de crise sans avoir à entrer en contact avec une multitude de contreparties (collective action clause) ?
- Comment s'assurer qu'aucun créancier ne puisse obtenir du débiteur un paiement spécifique sans qu'il ait à le partager avec les autres créanciers (sharing clause) ?
De ces trois clauses, la troisième est la plus controversée, car, en dépit de sa logique apparente, qui fait d'ailleurs qu'elle est d'usage courant en matière de crédits internationaux, elle a pour résultat de rendre pratiquement impossible toute action individuelle à l'encontre du débiteur ; en effet, l'initiateur du procès en supporterait tous les coûts mais devrait en partager le résultat avec tous les autres créanciers.
Dans le prolongement de la dette mexicaine, une étude a été menée sur ces questions, sans pour autant aboutir. La crise asiatique ne portant que pour une faible part sur la dette obligataire, sa gestion n'a pas été entravée par ces questions. Toutefois, dans le cadre de l'énorme effort de réflexion entrepris à sa suite, des travaux se poursuivent activement sur ce thème, en particulier dans le cadre du G 10.
La crise asiatique, si elle portait pour l'essentiel sur des crédits internationaux, a fait cependant apparaître une situation inusitée, celle d'une dette portée non par les autorités gouvernementales, mais par le secteur privé, en particulier bancaire. Cela a donné lieu à un certain nombre de problèmes spécifiques : analyse des risques par les créditeurs, degré de garantie apporté par le gouvernement à son secteur bancaire, effet de transmission de la crise du secteur financier vers le secteur réel au travers d'un système bancaire défaillant, importance des plans de restructuration du système financier pour la résolution de la crise, etc.
Une autre évolution significative est aussi la part grandissante prise par les marchés des actions dans les flux financiers vers les pays émergents. Or, les investisseurs sur ces marchés peuvent être de nature très diverse : banques, compagnies d'assurances, maisons d'investissement, fonds de pension, fonds mutuels, fonds spéculatifs. Ces mêmes acteurs peuvent également prendre des positions importantes sur les autres marchés émergents, en particulier sur le change. Cette diversité d'acteurs peut rendre les effets moutonniers plus prononcés ou au contraire les atténuer, selon les cas (on notera, par exemple, que les fonds de pension quittaient les marchés asiatiques au début de 1997, alors même que les banques internationales continuaient à pratiquer une politique dynamique de crédits dans la zone). En tous cas, la présence de cette gamme accrue d'intervenants rend l'analyse des crises et leur résolution plus complexes.
Une attention particulière doit être portée aux fonds spéculatifs (hedge funds) car, à l'occasion de toutes les crises qui ont agité les marchés depuis une dizaine d'années, les autorités monétaires concernées ont souligné le caractère déstabilisant des positions prises par ces fonds, qui utilisent largement la technique de l'effet de levier. De plus, l'image projetée par les fonds spéculatifs depuis la quasi-faillite du LTCM a changé. Vus jusqu'ici comme des prêteurs ou des spéculateurs dangereux mais solides, ils apparaissent aussi désormais comme des emprunteurs à risques par l'ampleur des positions qu'ils prennent et leur opacité, susceptibles par leur taille de générer des troubles systémiques.
Le Comité de Bâle sur la supervision bancaire a rapidement rappelé que les prêts bancaires à ces institutions ne devaient pas échapper aux principes fondamentaux de protection contre le risque de crédit. Divers groupes techniques de régulateurs se penchent sur les progrès à accomplir et ces travaux sont coordonnés au sein du Forum de stabilité financière, dont le rôle et l'activité sont décrits dans la seconde partie de cette étude.
II. Le Forum de stabilité financière : origine, mission et organisation
Dans le prolongement de la crise asiatique, l'initiative a été prise, sous l'impulsion des autorités américaines, de constituer un groupe de travail de haut niveau visant à établir un diagnostic de la crise et à dresser les lignes d'action possibles, en vue de répondre rapidement aux principales préoccupations. Ce groupe prit le nom de l'hôtel où se tint la première réunion, « Willard ».
En octobre 1998, après l'achèvement des travaux du Willard Group, les ministres et gouverneurs du G 7 confièrent au Président Tietmeyer une mission visant à formuler des propositions pour renforcer les structures du système financier international. Le Forum de stabilité financière est le résultat de cette initiative. Avant d'analyser ses missions et son organisation, il paraît utile de décrire plus en détail les initiatives qui ont précédé sa création.
Le Willard Group était à l'origine constitué de représentants des ministères des Finances et des banques centrales des pays du G 7 et de quinze pays émergents, ainsi que des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OCDE, BRI). Progressivement, toutefois, sa composition s'est élargie à l'ensemble des pays du G 10 et à d'autres pays émergents.
Très rapidement, le Groupe a défini trois axes principaux de recherche :
- améliorer la qualité et l'étendue des informations financières en provenance du secteur privé, des organismes gouvernementaux et des institutions financières internationales, l'idée étant que le manque de transparence à divers niveaux a exacerbé les difficultés financières et gêné la gestion de la crise et que la montée des déséquilibres ainsi que le caractère tardif des mesures d'ajustement auraient pu être évités par une meilleure information ;
- renforcer les structures financières des pays débiteurs, en raison du constat de faiblesse des systèmes bancaires des pays en difficulté et des répercussions que cela a pu avoir sur la profondeur, la durée et les modes de gestion de la crise ;
- améliorer les procédures financières en vue de limiter les risques de crise financière et de mieux gérer ces dernières, en particulier en mettant en place des programmes préventifs et en associant de manière plus étroite le secteur privé.
Les trois rapports correspondants ont été élaborés durant l'été 1998 et présentés aux ministres et gouverneurs lors d'une réunion plénière, tenue en octobre.
Le Willard Group a constitué une avancée significative dans le sens de la prévention et de la gestion des crises, car il a pu en quelques mois, s'appuyant parfois sur des travaux antérieurs, dresser l'inventaire des problèmes à résoudre et proposer sur certains points des solutions immédiates. La première partie de cette étude décrit certaines d'entre elles. On peut dire aussi que l'intense activité de réflexion et de proposition menée dans cette instance a aidé à une meilleure approche des problèmes posés par le Brésil, et nous avons déjà noté que le programme en faveur de ce pays marquait des différences sensibles par rapport aux précédents.
Restait toutefois à aborder le problème plus délicat de la structure du système financier international. Les Anglo-saxons parlent volontiers « d'architecture ». Objectivement, le Willard Group pouvait difficilement être l'enceinte de discussion sur un sujet aussi politique, ne serait-ce qu'en raison de sa composition « sui generis » et évolutive. C'est finalement le G 7 qui, en octobre 1998, prit l'initiative en la matière, en confiant au président Tietmeyer une mission de réflexion devant aboutir à des propositions concrètes au printemps de 1999.
2) La mission du Président Tietmeyer et ses conclusions
Très pragmatique dans son approche et pratique dans ses conclusions, le rapport du Président Tietmeyer est imprégné d'un double constat, même si ceci n'apparaît pas directement dans le texte :
- Tout d'abord, une grande réforme des institutions internationales, que certains appellent de leurs voeux, serait irréalisable dans des délais raisonnables. Refaire Bretton Woods, redéfinir les structures et les missions du FMI, de la Banque mondiale et d'autres institutions internationales nécessiterait un fort consensus international, qui est loin d'exister, et exigerait de toute façon, à supposer que ce fût possible, des délais infiniment plus longs que le marché en laisserait avant la montée de nouveaux périls ;
- Ensuite, les instances existantes, dans leur diversité, ont toute la compétence requise, institutionnelle et technique, pour répondre aux problèmes qui se posent.
Dès lors, la voie à suivre consistait moins à réformer qu'à bâtir sur les fondations existantes, non pas à créer une ou plusieurs nouvelles institutions, mais plutôt à faire mieux fonctionner les existantes, en coordonnant leur action de manière plus efficace.
L'idée du Forum de stabilité financière consiste donc à réunir dans une instance commune de concertation et de coordination, dotée d'un secrétariat réduit, les représentants des principaux pays concernés et de toutes les instances ayant à connaître de la stabilité financière. Ces dernières se composent des quatre principales institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OCDE, BRI) et des cinq comités à vocation prudentielle. Les premières sont trop connues pour qu'il soit nécessaire d'en détailler ici les structures et les missions. En revanche, il peut être utile de décrire succinctement les comités à vocation prudentielle, qui sont pour la plupart nettement moins connus.
Les comités à vocation prudentielle s'adressent aux trois composantes du système financier international : les institutions financières, les marchés financiers, les systèmes de paiement et de règlement.
Les institutions financières regroupent elles-mêmes trois catégories d'agents : les banques, les maisons de titres et d'investissement, les compagnies d'assurances. Chacune d'entre elles est soumise à une supervision spécifique et la coordination internationale s'opère au travers de trois comités distincts.
- Le Comité de Bâle sur la supervision bancaire (en anglais BCBS) est responsable de la stabilité des institutions bancaires. Depuis sa création, en 1974, il a produit de nombreuses règles, recommandations et études, réunies récemment dans un « compendium » de plusieurs centaines de pages. Parmi les initiatives les plus importantes prises par ce Comité, il faut citer le Concordat sur la supervision bancaire consolidée, l'accord sur le capital minimum, en cours de révision, et l'établissement des principes fondamentaux sur la supervision bancaire - core principles - dont il a été question précédemment.
Les superviseurs des deux autres composantes du monde financier, que sont les assurances et les maisons de titres et d'investissement, ont leurs propres instances de coopération : respectivement l'Association internationale des contrôleurs d'assurance (en anglais IAIS) et l'Organisation internationale des commissions de valeurs (en anglais IOSCO). La compétence de ces deux comités est similaire, vis-à-vis de leurs adhérents, à celle du Comité de Bâle. Un groupe de coordination informel réunit ces trois instances sur les sujets d'intérêt commun, comme par exemple la surveillance des conglomérats financiers.
- Le Comité sur le système financier global (en anglais CGFS), autrefois dénommé « Comité permanent des euromonnaies », suit, pour le compte des banques centrales membres, tous les développements conjoncturels ou structurels touchant aux marchés internationaux de capitaux et à leurs agents. Il est responsable de la méthodologie des statistiques bancaires internationales.
- Le Comité sur les systèmes de paiement et de règlement (en anglais CPSS) vise à éviter les risques systémiques liés à l'acheminement et au règlement des transactions financières internationales, dont le volume a connu une croissance exponentielle au cours des dernières années. La prévention des risques liés au bogue de l'an 2000 figure parmi ses préoccupations les plus immédiates.
Il convient de noter que le Comité de Bâle sur la supervision bancaire ainsi que les comités sur le système financier global et sur les systèmes de paiement et de règlement ont tous trois été institués sous l'égide du Comité des gouverneurs des banques centrales du Groupe des Dix et de la Suisse et ont leur secrétariat assuré par des équipes de la BRI. Un quatrième comité - IAIS - a également son secrétariat logé à la BRI, mais ce dernier fonctionne en totale autonomie par rapport à cette Institution.
On le voit, le réseau des comités à vocation prudentielle est très complet et, bien que cela résulte sans doute plus d'une approche pragmatique des problèmes, au fur et à mesure de leur apparition, que d'une stratégie délibérée, offre une approche rationnelle pour la surveillance et la prévention des risques au niveau des agents financiers, des marchés et des systèmes.
L'idée principale contenue dans le rapport du Président Tietmeyer consiste à tirer un parti maximum des compétences incontestables disponibles dans les principales institutions internationales ainsi que dans ces comités en les associant de manière aussi informelle aux représentants des principaux pays concernés, au sein du Forum de stabilité financière.
3) Le Forum de stabilité financière
Le Président Tietmeyer a fait part de ses idées aux ministres et gouverneurs du G 7 au printemps de 1999 et la réunion constitutive du Forum s'est tenue à Washington, le 14 avril.
Trois missions principales sont dévolues au Forum :
- détecter et évaluer les vulnérabilités ;
- identifier et contrôler les actions à entreprendre ;
- améliorer la coordination et l'information réciproque.
La définition de ce que le Forum doit faire se double d'une indication claire de ce qu'il ne doit pas faire :
- tout d'abord, le Forum n'a pas vocation à publier de grands rapports et encore moins à dupliquer les travaux de ses membres, mais il doit au contraire déterminer les pièces manquantes du puzzle de la stabilité et veiller au comblement rapide des lacunes par l'instance ou les instances appropriées ;
- le forum doit ensuite viser non pas des études théoriques supplémentaires ou des propositions hypothétiques, mais des réalisations, des mesures concrètes d'amélioration.
Le Forum regroupe :
- les représentants des pays du G 7, qui disposent chacun de trois sièges, un dévolu à la Trésorerie, un autre à la banque centrale, un troisième à une instance de régulation et de surveillance ;
- un représentant pour chacun des pays suivants : Australie, Hong-Kong, Pays-Bas, Singapour, dont l'admission récente témoigne d'une évidente volonté d'ouverture au-delà du cercle du G 7. Pour chacun de ces quatre pays, ce sera le gouverneur de la banque centrale qui assurera la représentation ;
- deux représentants pour le FMI ainsi que pour la Banque mondiale ;
- un représentant pour l'OCDE, pour la BRI et pour la BCE ;
- deux représentants pour le BCBS, IOSCO et IAIS ;
- un représentant pour le CGFS et CPSS.
La présidence du Forum est assurée par Andrew Crockett, Directeur Général de la BRI, nommé à titre personnel pour un mandat de trois années. La responsabilité du secrétariat a été confiée à la BRI, qui y a affecté quatre économistes, en plus de deux spécialistes détachés par le FMI et la Banque mondiale.
Lors de la séance inaugurale, le Forum a défini trois axes de réflexion prioritaires donnant lieu à la constitution de groupes de travail :
- Les institutions à fort effet de levier (high leverage institutions), pour lesquelles il convient d'évaluer l'enjeu qu'elles constituent pour la stabilité financière, aussi bien dans les pays développés que dans les économies émergentes. Le groupe devra en particulier déterminer les lacunes dans l'organisation actuelle, évaluer les dangers, proposer des mesures d'amélioration et rechercher un consensus sur les actions prudentielles et réglementaires pouvant conduire à une réduction des risques de déstabilisation provenant de ces institutions ;
- Les centres off-shore, dont l'activité et les progrès dans l'application des standards internationaux de surveillance et de transparence devront être évalués ; le groupe devra examiner les risques attachés à l'activité de ces centres et déterminer les domaines de progrès possibles ;
- Les flux de capitaux, pour lesquels il conviendra de juger des mesures que les créditeurs et les débiteurs pourraient prendre pour en réduire la volatilité ; le groupe devra en particulier évaluer les politiques et pratiques que les pays endettés pourraient mettre en place en vue de réduire les risques liés à l'endettement extérieur à court terme ; il devra aussi évaluer la pertinence de l'appareil statistique en place.
Ces trois groupes de travail devront rendre compte des premiers résultats de leurs premiers travaux à la réunion du Forum prévue pour la mi-septembre, les rapports complets devant être achevés pour la réunion suivante.
À ces trois thèmes prioritaires, le Forum ajoute une préoccupation supplémentaire et permanente de surveillance des marchés et des flux financiers, de manière à évaluer les risques potentiels suffisamment à l'avance pour permettre des actions préventives appropriées. À l'occasion de chacune des réunions du Forum, le secrétariat présentera une analyse sur ce thème, fondée sur les informations et avis collectés auprès des membres du Forum ou d'autres personnes ou institutions qualifiées.
D'autres travaux ont aussi été entrepris par le Forum, tels la préparation d'un « compendium » des différents standards et codes de conduite, l'examen des domaines dans lesquels de nouveaux standards devraient être établis, la mise en place d'une base de données des formations en matière de stabilité financière offertes aux pays émergents, etc.
Le principal challenge auquel le Forum est confronté est, bien naturellement, celui de la crédibilité que lui vaudront ses premiers travaux et ses premières initiatives. Il est impossible d'en juger à ce stade, alors que le Forum est dans la préparation de sa seconde réunion, que son secrétariat vient à peine d'être constitué et que ses groupes de travail sont au milieu du gué.
D'autres questions plus immédiates se posent :
- Le Forum devra éviter le danger technocratique et devra, pour ce faire, établir des contacts appropriés avec des praticiens, associer étroitement le secteur privé à ses travaux sans pour autant courir le danger d'interférences extérieures. La chose est relativement aisée au niveau des groupes techniques qui peuvent commodément interroger des techniciens extérieurs susceptibles d'apporter des éclairages utiles sur les sujets traités. Divers contacts de ce type ont d'ailleurs été pris par les trois groupes de travail constitués. Les procédures à mettre en place sont plus délicates à définir en ce qui concerne le Forum lui-même. Ce qui, à ce stade, est en tous cas certain, est la volonté clairement affichée par le fondateur, le président et nombre des membres du Forum d'associer le secteur privé aux travaux et aux réflexions de celui-ci, selon les procédures les plus appropriées.
- Le Forum devra aussi éviter le risque d'apparaître comme une institution d'où les pays émergents seraient exclus. Le poids prépondérant des pays du G 7 dans la composition du groupe peut le faire craindre et cette préoccupation figure déjà dans les textes fondateurs issus du rapport du Président Tietmeyer. Diverses mesures ont été prises sans tarder : admission récente de quatre membres de pays extérieurs au G 7 (voir § II. 3 b), présence dans les groupes de travail d'experts de pays non représentés au Forum. Sera-ce suffisant ? Seul l'avenir pourra le dire, mais il est probable que le Forum devra tenir un juste et délicat équilibre entre représentativité (qui pousse à l'élargissement) et efficacité (qui prêche en faveur d'un groupe resserré). Le Forum compte actuellement 40 membres ; les possibilités d'extension sont de fait limitées sans risquer des lourdeurs que les fondateurs voulaient précisément éviter.
La première partie de cette étude nous a permis de constater combien les sources d'instabilité financière étaient nombreuses et variées. Face à cette réalité, il serait illusoire de croire qu'une réponse centralisée provenant d'une institution à vocation universelle serait appropriée. La diversité des maux que nous connaissons doit plutôt conduire à une multithérapie.
L'expérience des années récentes montre aussi que la rapidité des évolutions auxquelles les marchés sont soumis est sans commune mesure avec la capacité de réponse des autorités. Lancer une grande réforme du système financier international, créer de nouvelles institutions eut été inadapté à l'urgence de l'action. C'eut été de plus un effort peu utile dès lors qu'existent déjà les organismes et les instances à même de répondre rapidement aux problèmes qui se posent, dans leur diversité.
La création du Forum de stabilité financière est le résultat de ce double constat. On est loin, certes, le l'art « architectural » et l'on évolue plutôt dans le domaine technique de la conduite de travaux, mais, dès lors qu'existent des fondations solides pour l'ouvrage, serait-il judicieux de refaire les plans ?