Récentes variations du point mort d'inflation : la part des divers facteurs

BIS Quarterly Review  | 
10 mars 2009

(Extrait de la Vue d'ensemble, Rapport trimestriel BRI, mars 2009, pp. 18-19)

Ces derniers mois, le point mort d'inflation, soit la différence de rendement entre obligations indexées et non indexées, a présenté une évolution atypique, chutant à des niveaux exceptionnellement bas, avant de se redresser quelque peu début 2009. Aux États-Unis, le point mort d'inflation 10 ans, par exemple, est tombé à quasiment zéro fin 2008, après être resté relativement stable aux alentours de 2,5 % pendant plusieurs années (graphique A, cadre de gauche). On a pu observer une évolution comparable, quoique moins prononcée, dans la zone euro (graphique A, cadre du milieu).

On en vient tout naturellement à se demander dans quelle mesure ces récentes variations devraient être considérées comme marquant un véritable changement de l'inflation anticipée. Le point mort d'inflation sert depuis longtemps d'indicateur des anticipations des opérateurs pour la durée des obligations. Bien entendu, pendant la crise financière, les amples fluctuations de valorisation observées sur nombre de marchés, y compris ceux des obligations (indexées ou non), ont tenu en partie à des facteurs « non fondamentaux ». Somme toute, s'il est probable que la chute du point mort d'inflation n'est pas sans lien avec un repli des anticipations, elle s'explique sans doute essentiellement par d'autres éléments, dont des effets de liquidité et des facteurs techniques de marché.

Le point mort d'inflation peut normalement se décomposer en quatre éléments majeurs : i) inflation anticipée ; ii) prime de risque d'inflation ; iii) prime de liquidité ; iv) facteurs « techniques » de marché1. L'importance relative de ces éléments peut varier avec le temps, en fonction de l'évolution des conditions dans l'économie et sur les marchés financiers.

On peut évaluer la part de l'inflation anticipée en examinant d'autres indicateurs des anticipations, comme les enquêtes sur l'inflation. Aux États-Unis, selon l'enquête de la Banque de Réserve fédérale de Philadelphie auprès des prévisionnistes professionnels (SPF), entre T3 2008 et T1 2009, les anticipations à horizon 3 mois sont tombées de 2,9 % à 0,8 %, mais les anticipations à 10 ans n'ont baissé que de 0,1 %, à 2,5 %. De même, si les anticipations d'inflation à court terme ont nettement diminué, ces derniers mois, dans la zone euro, l'enquête SPF de la BCE sur la même période a également fait état d'une baisse de 0,1 % seulement, à 1,9 %, des anticipations à long terme (à horizon 5 ans). On constate donc que les anticipations sur les prochaines années sont restées stables en moyenne, malgré un rapide recul à court terme. Cela dit, d'aucuns considèrent peu plausible cette stabilité à horizon lointain, compte tenu des très gros chocs qui ont secoué l'économie récemment.

Quant à la prime de risque d'inflation, elle aurait, selon des estimations récentes, été relativement minime et stable2. Il est donc peu probable qu'elle ait exercé une grande influence sur les variations du point mort d'inflation. Néanmoins, selon certaines estimations, elle serait positivement corrélée avec l'inflation, signe que le récent ralentissement de l'inflation aurait pu entraîner une baisse de la prime, ce
qui est conforme à l'évolution du point mort d'inflation. Pourtant, on s'attendrait plutôt à une hausse de la prime de risque d'inflation, étant donné l'augmentation de la volatilité de l'inflation et les incertitudes croissantes entourant l'incidence possible, sur les prix, des mesures prises dernièrement par les autorités monétaires.

Il y a lieu de croire que la prime de liquidité, au sens large, a joué un rôle important dans l'évolution du point mort d'inflation. La ruée vers la liquidité, lors des turbulences, a entraîné une vive demande d'obligations d'État (non indexées), qui a probablement donné lieu à une prime négative dans ce segment. En d'autres termes, le rendement des obligations non indexées a chuté très bas, comprimant fortement le point mort d'inflation. En outre, comme les obligations indexées sont nettement moins liquides que les obligations non indexées, leurs détenteurs s'exposent au risque de ne pas pouvoir les réaliser rapidement à la valeur courante de marché. En temps normal, la prime de liquidité dont sont assorties les obligations indexées est relativement faible ; elle s'est sans doute fortement accrue quand la crise s'est aggravée, au second semestre 2008, du fait de la hausse du risque de liquidité et de l'aversion pour le risque. Le rendement des obligations indexées aurait alors augmenté par rapport à celui des obligations non indexées, comprimant encore davantage le point mort d'inflation.

En liaison avec ces effets de liquidité et, dans une certaine mesure, indissociables d'eux, les facteurs techniques de marché semblent également avoir joué un rôle important dans le récent comportement du point mort d'inflation. Parmi ces facteurs, il y a notamment les pressions dues au fait que les investisseurs à effet de levier ont été contraints de dénouer des positions sur obligations indexées dans des conditions de marché défavorables, ce qui a entraîné une hausse de leur rendement réel et, partant, une baisse du point mort d'inflation3.

Les swaps d'inflation mettent en lumière l'importance de ces éléments. Un swap d'inflation est un dérivé qui s'apparente à un swap de taux d'intérêt classique, à cela près que le paiement fixe s'échange contre un paiement variable lié non pas à un taux d'intérêt à court terme, mais à une mesure de l'inflation - habituellement l'inflation accumulée sur la vie du swap. Le volet fixe du swap d'inflation fournit donc directement un « prix » du point mort d'inflation, qui n'est sensible, ni aux conditions de liquidité différentes entre obligations indexées et non indexées, ni à la recherche de liquidité4.

L'écart à 10 ans entre prime du swap d'inflation et point mort d'inflation, qui était resté stable ces dernières années, s'est fortement élargi fin 2008 (graphique A, cadres de gauche et du milieu), ce qui montrerait que les effets de liquidité et les facteurs techniques mentionnés plus haut ont joué un rôle important dans le comportement du point mort d'inflation sur l'obligataire. Néanmoins, le taux des swaps d'inflation a également beaucoup diminué, fin 2008, en phase avec les anticipations de recul de l'inflation, mais probablement aussi du fait de couvertures de positions sur point mort d'inflation. Début 2009, la contraction du point mort d'inflation s'est en partie inversée, peut-être parce que les investisseurs ont tiré parti d'un point mort d'inflation jugé trop bas.

Enfin, l'évolution du point mort d'inflation à terme peut apporter des enseignements. Ainsi, le point mort d'inflation 5 ans à horizon 5 ans est souvent vu comme donnant une indication plus nette des anticipations d'inflation à horizon lointain que, disons, le point mort d'inflation 10 ans, parce qu'il serait, au moins en principe, insensible aux anticipations à court terme. Un tel point mort à terme s'est montré bien plus volatil ces derniers mois, mais, dans l'ensemble, son niveau global ne s'est pas nettement infléchi (graphique A, cadre de droite), signe que les anticipations d'inflation à long terme sont restées globalement stables, ce qui confirme l'opinion selon laquelle la crédibilité de l'engagement des banques centrales envers la stabilité des prix n'a pas souffert du rapide abaissement récent des taux directeurs.


1 D'autres phénomènes peuvent agir sur le point mort d'inflation, dont les effets de saisonnalité de l'inflation (à savoir les variations saisonnières connues des prix à la consommation ayant une incidence sur les cours des obligations liées à un IPC qui n'est pas corrigé des variations saisonnières) et les « effets de portage » (résultant d'une modification persistante des prix à la consommation, comme les mouvements des cours du pétrole, dont on sait qu'ils agissent de suite sur l'inflation, alors que les obligations sont indexées sur un indice des prix ancien de plusieurs mois). Toutefois, ces effets sont, en principe, importants surtout pour les échéances courtes (deux ans au maximum).
2 Voir P. Hördahl, « The inflation risk premium in the term structure of interest rates », BIS Quarterly Review, septembre 2008, pp. 23-38, et bibliographie jointe.
3 Un autre facteur technique est la valeur du « plancher de déflation », qui a augmenté récemment pour de nombreuses obligations indexées, en particulier les obligations nouvellement émises et proches du plancher. L'élévation du plancher implique une hausse des cotations des obligations indexées concernées, ce qui signifie une baisse de leur rendement réel et, partant, un relèvement du point mort d'inflation : ce facteur ne pourrait donc pas expliquer la récente baisse du point mort d'inflation. En outre, dans nos calculs du rendement des obligations à coupon zéro et du point mort d'inflation, nous n'avons pas pris en compte les émissions récentes d'obligations indexées. Il est donc probable que le plancher de déflation ait joué un rôle mineur dans nos données relatives au point mort d'inflation.
4 Bien entendu, cela ne
veut pas dire que les swaps d'inflation sont insensibles à des facteurs « techniques » de marché, tels les effets de couverture. En outre, les marchés des swaps d'inflation sont normalement moins liquides que les marchés obligataires.