74e Rapport annuel 2003/04 : vue d'ensemble
Chapitre I : Introduction - l'heure est-elle au rééquilibrage ?
Face au ralentissement mondial du début de la décennie, les principaux pays industrialisés, États-Unis en tête, ont répondu par des incitations budgétaires et monétaires exceptionnelles. Les économies émergentes ont, dans l'ensemble, également assoupli leur politique, souvent en liaison avec des interventions visant à prévenir une appréciation de leur monnaie face au dollar. La hausse des prix des actifs et la plus grande réceptivité des marchés financiers pendant la majeure partie de la période ont amplifié les effets de l'assouplissement, contribuant ainsi à une croissance mondiale beaucoup plus vigoureuse qu'anticipé. Les États-Unis et la Chine ont constitué deux grands pôles de croissance, avec un effet positif sur le Japon et nombre d'économies émergentes, l'Europe continentale restant en retrait. Les pays industrialisés à croissance plus rapide sont ceux dont les comptes extérieurs se sont le plus détériorés, mais aussi ceux où la situation des établissements financiers s'est le plus améliorée. L'accélération de la croissance n'a pas, en général, entraîné de tensions inflationnistes, malgré le renchérissement des produits de base et la diminution manifeste des capacités de production excédentaires. Vers la fin de la période analysée, les marchés financiers ont fait preuve de davantage de prudence, en anticipation d'un probable durcissement de la politique monétaire, aux États-Unis surtout.
Chapitre II : Évolution dans les économies industrielles avancées
En 2003, la reprise s'est renforcée dans les pays industriels avancés, soutenue par une politique particulièrement incitative aux États-Unis et une demande plus vigoureuse en Asie. Elle s'est largement étendue dans les principales économies grâce à une vive accélération du commerce mondial, même si la croissance est restée modérée dans la zone euro. Fait caractéristique de la récente expansion, la demande des entreprises a pris progressivement le relais de la consommation des ménages tandis que les craintes de déflation se dissipaient.
La reprise est-elle appelée à durer ? À court terme, le consensus penche pour un renforcement de la croissance, à 4¿ % cette année, et pour une inflation toujours faible. Mais des incertitudes continuent de peser sur les perspectives de la demande, compte tenu notamment de l'évolution récente sur les marchés financiers et de la hausse des cours des produits de base. À moyen terme, plusieurs risques demeurent, liés surtout au haut niveau d'endettement des agents privés et publics et à l'ampleur des déséquilibres extérieurs. Pour déterminer s'il y a lieu de s'en préoccuper, il convient de se référer aux hypothèses concernant la productivité. À cet égard, les gains de productivité aux États-Unis autorisent un certain optimisme : la productivité du travail reste plus forte que dans les autres grands pays industrialisés, grâce à des avancées technologiques plus importantes, y compris durant la dernière phase de récession.
Chapitre III : Évolution dans les économies émergentes
L'abondance de liquidité dans le monde, due à la souplesse des conditions monétaires et au goût accru des investisseurs internationaux pour le risque, a stimulé l'activité dans les économies émergentes à partir de mi-2003 et contribué au net renchérissement des produits de base. L'expansion a été soutenue par un vif rebond des entrées de capitaux privés, à leur plus haut niveau depuis 1996. Dans plusieurs pays, notamment en Asie, ces flux se sont accompagnés d'un substantiel accroissement des réserves de change, non sans implications pour la politique monétaire. Dans certains cas, l'essor du crédit aux ménages a favorisé la consommation et l'activité. La Chine a joué un rôle moteur dans l'expansion, son dynamisme alimentant la demande dans l'Est asiatique et au-delà.
Les perspectives présentent toutefois des impondérables. Premièrement, avec l'augmentation récente des taux à long terme aux États-Unis et des primes sur la dette des économies émergentes, les entrées de capitaux pourraient s'inverser, d'autant plus qu'elles ont largement pris la forme d'investissements de portefeuille et de prêts, de nature plus volatile. Deuxièmement, on peut s'interroger sur le maintien d'une demande intérieure aussi vigoureuse dans certains pays. En Chine, le surinvestissement, des vulnérabilités dans le secteur bancaire et l'accélération de l'inflation constituent des sources de préoccupation ; dans les pays ayant axé leur stratégie de croissance sur la consommation des ménages nourrie par le crédit, la question de la maîtrise des risques se pose. Enfin, le récent renchérissement des produits de base amène à se demander si la période de faible inflation mondiale tire à sa fin et si les pays producteurs ne vont pas souffrir de déséquilibres budgétaires. Ce renchérissement donne néanmoins aux producteurs l'occasion de traduire l'amélioration des termes de l'échange en une élévation durable du rythme de croissance. À court terme, le haut niveau des cours des produits de base pourrait être soutenu par la vigueur de la demande émanant de Chine et d'Inde et par des contraintes du côté de l'offre, mais des incertitudes à cet égard pourraient aussi accroître la volatilité.
Chapitre IV : Politique monétaire dans les économies industrielles avancées
Les banques centrales des principales économies industrielles avancées ont poursuivi leur orientation accommodante, l'an passé, pour appuyer la reprise. La Réserve fédérale américaine a maintenu ses taux à des minimums de 46 ans, dans un contexte d'inflation plus neutre et de reprise plus large. La BCE a également conservé des taux bas, arbitrant entre le soutien à une croissance encore fragile et ses inquiétudes face à une inflation relativement élevée en ce point du cycle. La Banque du Japon a prolongé sa politique d'assouplissement quantitatif, alors que les pressions déflationnistes donnaient quelques signes d'atténuation et que la reprise économique se confirmait. Dans les autres économies industrialisées, les situations ont été variables. Plusieurs banques centrales ont abaissé leurs taux directeurs pour soutenir l'activité, d'autres les ont relevés pour contrer les pressions de la demande intérieure et, dans certains cas, les risques liés à l'accumulation de déséquilibres financiers.
Le chapitre étudie deux interrogations qui ont fini par dominer la période analysée. Avec des perspectives de croissance plus soutenue, l'orientation généralement très accommodante des banques centrales des grandes économies industrialisées a-t-elle indirectement alimenté une liquidité mondiale excessive ? En quoi la politique de communication des banques centrales a-t-elle évolué au fil du temps et quels sont les défis à relever ?
Chapitre V : Marchés des changes
La baisse continue et généralisée du dollar puis sa remontée partielle ont constitué les faits marquants. Prononcée vis-à-vis de l'euro et de plusieurs autres monnaies flottantes en 2003 et début 2004, la dépréciation du dollar a été plus limitée face au yen et aux monnaies des économies émergentes d'Asie. Entre février et mi-mai 2004, cette tendance s'est en partie inversée, sous l'influence d'un changement des anticipations en matière de taux directeurs, aux États-Unis notamment. Trois facteurs ont dominé les changes durant la période analysée : le creusement du déficit courant américain et les modifications dans la structure de son financement ; les écarts de taux d'intérêt, dans le contexte de la quête de rendement ; les interventions massives du Japon ainsi que l'accumulation d'importantes réserves en Chine et dans plusieurs autres économies d'Asie.
En s'appuyant sur l'étude des précédents épisodes d'ajustement des comptes courants, le chapitre tente de déterminer si les variations des flux privés et les proportions respectives des composantes privées et publiques permettent d'anticiper l'amorce de la correction. Il analyse ensuite le comportement des flux lorsque la correction est en cours ; il examine les motivations à l'origine de l'accumulation de réserves de change et ses conséquences pour le financement du déficit courant américain, avant de s'interroger sur l'éventualité de perturbations liées aux mouvements de capitaux.
Chapitre VI : Marchés financiers
En 2003, les investisseurs à travers le monde ont retrouvé le goût du risque. Sur les marchés des actions, cela s'est traduit par un redressement des cours, avant même l'annonce de résultats favorables des entreprises et de l'économie mondiale. Dans le compartiment des obligations d'entreprises et de la dette souveraine, les marges de crédit se sont rapprochées de leurs minimums historiques, les investisseurs recherchant des rendements plus rémunérateurs que ceux des titres d'État de référence. Le goût du risque n'a, semble-t-il, pas même été tempéré par le repli des marchés des obligations d'État mi-2003.
L'amélioration des données économiques fondamentales a pu justifier un renchérissement des actifs, mais, fin 2003, les valorisations semblaient correspondre à des primes de risque relativement faibles. Les investisseurs n'ont paru redouter aucune évolution défavorable, ou peut-être pensaient-ils pouvoir dénouer leurs positions avant de subir d'importantes pertes. De fait, en mai 2004, la perspective accrue d'un relèvement des taux directeurs américains a conduit certains intervenants à effet de levier à se désengager rapidement des marchés des actions et de la dette des économies émergentes. La correction est restée ordonnée cependant.
Chapitre VII : Système financier - analyse sectorielle
Pendant la période analysée, l'amélioration conjoncturelle a renforcé les résultats du système financier dans les pays industrialisés. Grâce à des signes croissants de reprise générale et à l'atténuation des risques, les banques commerciales ont quasiment toutes affiché des bénéfices en hausse, dans les pays où le secteur bancaire était solide comme dans ceux où il avait été fragilisé. En outre, le dynamisme des marchés des actifs a renforcé les bénéfices des banques d'affaires et permis aux compagnies d'assurances de rétablir leur situation financière. Des facteurs structurels, tels les efforts de rationalisation et le développement des marchés de transfert du risque, ont également joué un rôle.
Les intervenants sont sortis relativement indemnes du ralentissement, mais il convient de s'interroger sur la justesse de leurs anticipations concernant le cycle conjoncturel. Cherchant à rentabiliser les liquidités accumulées, certains établissements ont pu s'appuyer sur des hypothèses fragiles de croissance et de taux, comme l'illustrent peut-être le récent rétrécissement des primes sur le marché des crédits consortiaux et l'importance accrue du négoce pour compte propre parmi les grandes banques. Les principales faiblesses du système financier résident sans doute dans l'évolution des taux d'intérêt : leur hausse pourrait compromettre la capacité des ménages à faire face à un endettement accru, surtout à travers leur incidence sur les prix des actifs ; un aplatissement inhabituel de la courbe pourrait, en revanche, nuire aux établissements exploitant le niveau toujours bas des taux à court terme.
Chapitre VIII : Conclusion - les autorités face au changement et à l'incertitude
Si les observateurs estiment généralement que la reprise est bien engagée, des sujets de préoccupation demeurent néanmoins. Les pôles de croissance mondiale que sont les États-Unis et la Chine présentent des déséquilibres qui peuvent avoir des répercussions à terme. Aux États-Unis, la consommation des ménages a été maintenue, malgré l'atonie exceptionnelle du revenu du travail, grâce à des emprunts massifs. Le haut niveau d'endettement pourrait peser sur la dépense, surtout en cas d'augmentation des taux d'intérêt ou de modération - a fortiori de chute - des prix des actifs. Un renforcement de l'investissement des entreprises aurait bien sûr l'effet inverse. D'autre part, l'important volume d'endettement envers les non-résidents pourrait peser sur le dollar, entraînant à la fois une hausse des taux d'intérêt aux États-Unis et des pertes pour les bailleurs de fonds étrangers ; celles-ci, à leur tour, freineraient la dépense dans les pays créanciers alors même que l'appréciation de la monnaie limiterait les exportations. En Chine, le souci principal est le niveau extraordinairement élevé de l'investissement, qui pourrait, dans l'immédiat, alimenter l'inflation et, à terme, se traduire par des surcapacités compromettant la rentabilité. Sur les marchés financiers, il est possible que la tolérance au risque diminue encore. Heureusement, nombre des intervenants exposés ont pris des mesures énergiques pour se protéger.
Face à ces déséquilibres, la tâche immédiate, pour les autorités des pays industrialisés, consiste à mettre fin à des politiques monétaires et budgétaires très accommodantes, en rétablissant des conditions plus normales sans provoquer de perturbation. La clarté dans la communication pourrait les aider à apaiser les anticipations. À terme, l'enjeu est d'instaurer un cadre monétaire et financier plus solide dans une économie mondiale qui connaît de rapides changements structurels. Dans ce contexte, les régimes à objectif d'inflation présentent de nombreux avantages, surtout si toute évolution atypique du crédit, de la valorisation des actifs et de l'investissement est expressément prise en considération. De manière générale, il faudrait adopter des mesures plus vigoureuses de réduction de la demande et de stimulation de l'offre en période favorable, pour accroître la marge de manœuvre et réduire le risque d'instabilité en phase de retournement conjoncturel. En Chine, pour résoudre le problème de surchauffe, les autorités ont déjà amorcé un durcissement, mais se heurtent à des difficultés : les mécanismes de marché ne sont pas encore pleinement efficaces et les contrôles administratifs ont été en partie démantelés.
Pour remédier aux déséquilibres du commerce international, il faut avant tout un renforcement de l'épargne dans les pays en déficit et une baisse dans les pays créanciers, ainsi qu'une modification appropriée du change réel ; dans les pays créanciers réticents à ajuster la parité de leur monnaie, la hausse du cours de change réel risque de s'effectuer par l'inflation. Nombre d'économies, notamment le Japon, l'Europe continentale et une grande partie du monde émergent, doivent poursuivre leurs réformes pour améliorer le fonctionnement des marchés du travail et des produits. Dans le domaine financier, enfin, des réformes structurelles doivent parvenir à un équilibre entre sécurité et efficience. Les informations servant de fondement aux décisions doivent rendre clairement compte de trois aspects : situation financière des agents ; profil de risque anticipé ; incertitudes inhérentes à toutes ces estimations. C'est peut-être en prenant conscience des limites de nos connaissances que nous éviterons le mieux les écueils.
Organisation, gouvernance et activités de la Banque
Ce chapitre résume le rôle joué par la BRI dans la coopération internationale en faveur d'une plus grande stabilité monétaire et financière. Il en décrit le cadre institutionnel et présente les diverses activités qui ont marqué l'année écoulée.
En 2003/04 comme par le passé, la contribution de la BRI à la coopération internationale s'est surtout appuyée sur les réunions bimestrielles des gouverneurs des banques centrales membres. D'autres réunions ont donné l'occasion aux banquiers centraux d'examiner des questions d'intérêt commun, avec, parfois, divers hauts responsables financiers issus d'institutions officielles ou du secteur privé.
Outre les analyses préparatoires à ces réunions, les travaux de recherche de la Banque ont porté sur de vastes sujets d'intérêt pour les banques centrales. La couverture analytique et géographique des statistiques économiques, monétaires et financières compilées par la BRI a, en outre, été étendue.
La Banque a continué d'assurer le secrétariat du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, du Comité sur le système financier mondial et du Comité sur les systèmes de paiement et de règlement. Elle s'est aussi employée à soutenir les travaux de plusieurs organisations indépendantes qui ont établi leur secrétariat à la BRI : Forum sur la stabilité financière, Association internationale des contrôleurs d'assurance et Association internationale de protection des dépôts.
Durant la période analysée, des progrès notables ont été réalisés dans l'élaboration du nouveau dispositif d'adéquation des fonds propres (Bâle II), dont le texte complet a été publié le 26 juin. L'Institut pour la stabilité financière continuera de consacrer une grande partie de ses activités à la préparation des autorités prudentielles en vue de la mise en œuvre de Bâle II. À cet égard, il lancera, à la mi-2004, FSI Connect, outil d'information en ligne spécifiquement conçu pour toucher une large audience de superviseurs bancaires.
La BRI a continué d'assurer la contrepartie des banques centrales pour leurs transactions financières et de remplir des fonctions d'agent et de mandataire dans le cadre de diverses opérations financières. Pour élargir son offre de produits bancaires, elle a créé un MTI (Medium-Term Instrument) assorti d'une option de remboursement anticipé.
Sur l'exercice, le bilan a enregistré une vive progression, supérieure à 12 % en termes de DTS (nouvelle unité de compte de la Banque). Le bénéfice net a diminué d'un peu moins de 10 % par rapport à l'exercice précédent, essentiellement en raison de la baisse des taux d'intérêt moyens qui a entraîné un repli des revenus sur titres de placement de la Banque financés par ses fonds propres.