Banques centrales : mesures prises pour faciliter le financement des banques en devises

BIS Quarterly Review  | 
15 décembre 2008

(Extrait de la Vue d'ensemble, Rapport trimestriel BRI, décembre 2008, pp. 14-16)

Ce qui était, à l'origine, un problème de financement en dollars pour les banques européennes a pris une tournure plus générale en septembre 2008. Avec la paralysie des marchés monétaires dans la seconde moitié de septembre et au début d'octobre, il est devenu extrêmement difficile pour les établissements hors des États-Unis d'obtenir des financements en dollars, même contre sûretés. La pénurie a gagné les banques des économies émergentes, relativement épargnées jusqu'alors. Elle s'est étendue à d'autres devises, certains établissements dont le bilan comportait des passifs en euros et en francs suisses rencontrant des difficultés de financement semblables.

Dans ce contexte, les banques centrales sont intervenues pour faciliter le refinancement de leurs contreparties en devises. Elles peuvent en effet se procurer des devises de trois sources principales : en mobilisant leurs réserves de change, en empruntant la devise requise sur le marché, ou en l'empruntant auprès d'une autre banque centrale (en général l'institut d'émission)1. Si, par le passé, l'une ou l'autre de ces méthodes ont été utilisées, la première et la troisième ont été les plus usitées, cette fois2. Emprunter à une autre banque centrale dans le cadre d'un accord de swap ou de nantissement, en particulier, est préférable lorsqu'une banque centrale ne souhaite pas entamer ses réserves, quand celles-ci ne sont pas abondantes, ou lorsque la vente d'actifs en devises peu liquides risque de renforcer une dynamique de baisse des prix dans le marché. De surcroît, comme l'ont montré les événements récents, le désir d'afficher une approche concertée est un argument de taille pour recourir à un accord entre banques centrales au lieu (ou en sus) de mobiliser des réserves de change.

Accords de swap ou de prise en pension entre banques centrales

Les dispositifs temporaires d'échange réciproque de devises (ou swaps) entre banques centrales3 - notamment avec la Réserve fédérale (Fed) - ont retenu l'attention, non seulement en raison du fait que la crise s'est développée à partir des marchés en dollars, mais aussi parce que le nombre et le volume de ces lignes de swaps se sont accrus durant l'année (tableau). De décembre 2007 à mi-septembre 2008, seules la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque nationale suisse (BNS) ont eu recours à de tels swaps avec la Fed pour pouvoir mener des appels d'offres en dollars simultanément lors de ceux de la Fed au travers de sa Term Auction Facility. Les montants de ces deux lignes ont été progressivement revus à la hausse de façon à pouvoir intensifier la fourniture de dollars. Avec l'aggravation et l'extension de la pénurie de dollars, mi-septembre, les accords de swap avec la Fed se sont multipliés, passant de 2 à 14 fin octobre, couvrant un large nombre de fuseaux horaires et impliquant les 5 continents, au lieu de un à l'origine. Les volumes ont également augmenté. Les plafonds initialement fixés par la Fed pour ses accords avec la BNS, la BCE, la Banque d'Angleterre (BoE) et la Banque du Japon (BoJ) ont été supprimés mi-octobre, de façon à permettre à ces banques centrales de mener des adjudications en dollars sur appels d'offres à taux fixe et de servir intégralement la demande. Les modes de distribution de ces dollars se sont diversifiés du point de vue de l'échéance (complétant les opérations traditionnelles à 1 ou 3 mois par des opérations plus courtes, à une semaine, voire, pendant un temps, au jour le jour4) et du support (des swaps cambistes s'ajoutant aux pensions et prêts contre sûretés).

Au plan régional, des accords de swap ont aussi été conclus pour la fourniture d'euros et de francs suisses. En mai 2008, les banques centrales de Suède, de Norvège et du Danemark ont annoncé un accord avec la Banque centrale d'Islande permettant à cette dernière de fournir des euros contre des couronnes islandaises. En octobre, la BCE et la BNS ont convenu de faciliter la distribution de liquidité en francs suisses dans la zone euro, en particulier aux petites banques n'ayant pas directement accès aux opérations de marché de la BNS. Le même mois, la BCE a convenu de fournir des euros à la Banque nationale du Danemark, pour l'aider à améliorer la liquidité sur le marché à court terme de l'euro, et (via un accord de prise en pension, dans ce cas) à la Banque centrale de Hongrie. En novembre, la BNS et la BCE ont conclu chacune un accord avec la Banque nationale de Pologne pour leurs monnaies respectives.

Plusieurs de ces accords n'ont pas donné lieu à tirage depuis leur annonce; on peut donc penser qu'il s'agit de mesures de précaution permettant de disposer de procédures activables en situation d'urgence plutôt que de la nécessité d'apporter un soutien financier en devise immédiat.

Mobilisation des réserves de change

Certaines banques centrales n'en ont pas moins mobilisé leurs réserves de change pour faire face à la pénurie de devises. Depuis mi-septembre 2008, début de la phase aiguë des turbulences financières, les principales économies émergentes ont, pour la plupart, procédé à des ventes fermes des actifs de réserve pour pouvoir répondre à une demande domestique de financement en devises, mais aussi pour contrer des tensions sur les changes5. En outre, plusieurs banques centrales (du Brésil et des Philippines, par exemple) se sont employées à offrir une partie de leurs réserves à leurs contreparties par le biais de mises en pension. En complément, il a aussi été fait usage de swaps cambistes. Certaines banques centrales (telle celle d'Australie) recourent habituellement à cet instrument pour la mise en oeuvre de leur politique monétaire et ont pu facilement, de ce fait, l'utiliser à une nouvelle fin. Parfois (banques centrales de Corée et d'Indonésie, notamment), il a fallu en modifier les caractéristiques (nouvelles contreparties éligibles, extension de la durée, etc.) pour rendre l'instrument plus flexible et plus efficient dans cet emploi. En revanche, d'autres banques centrales (telles celles du Brésil, du Chili et de la Pologne) ont dû créer la facilité ou ont fait savoir (autorité monétaire de Hong-Kong RAS) qu'elles étaient prêtes à la mettre en oeuvre au besoin. De plus, certaines banques centrales (ainsi, celle de Hongrie) se sont dites disposées à intervenir de chaque côté du swap, ce qui a contribué à atténuer les préoccupations liées au risque de crédit de contrepartie.


1 Dans certains cas, un tel emprunt peut être associé à une aide des institutions financières internationales, et notamment du FMI.
2 Pour accroître le volume de devises disponibles dans le système financier sans apporter directement les devises, les banques centrales peuvent aussi, par exemple, modifier le régime de réserves obligatoires.
3 Les accords de swap ne constituent pas une nouveauté, mais, par le passé, ils ont surtout été utilisés pour alimenter des interventions de change plutôt que pour aider le secteur financier à se procurer des devises.
4 Les adjudications journalières de dollars sur appels d'offres servies par la BCE, la BNS et la BoE entre mi-septembre et mi-novembre (mi-octobre pour la BCE) visaient expressément à atténuer la pénurie de dollars en début de journée sur les places européennes.
5 Le tarissement des sources habituelles de devises (emprunts et swaps cambistes) a contraint de nombreuses entreprises à se tourner vers le marché au comptant pour se procurer des dollars, ce qui a fortement déprécié la monnaie locale.