Vue d'ensemble des chapitres économiques

L'économie mondiale a continué de se redresser au cours de l'année écoulée. La croissance a été forte au sein des marchés émergents, et la reprise semble bien engagée dans les économies avancées. Mais les autorités auraient tort de relâcher leur effort. La crise financière a laissé derrière elle nombre de séquelles, mais aussi d'enseignements, qu'il ne faudrait pas ignorer. Dans de nombreuses économies avancées, la dette pèse encore lourdement sur les ménages comme sur les établissements financiers et non financiers, et l'assainissement des finances publiques est à peine amorcé. Les déséquilibres financiers mondiaux resurgissent. Les politiques monétaires très accommodantes vont rapidement devenir une menace pour la stabilité des prix. Les réformes financières demeurent inachevées et incomplètes. Enfin, l'appareil statistique qui devrait servir de système d'alerte précoce des tensions financières est encore limité. Telles sont les questions traitées dans notre 81e Rapport annuel.

Avant la crise, des déséquilibres étroitement imbriqués avaient rendu la croissance intenable dans plusieurs économies avancées. L'accroissement rapide de la dette et du prix des actifs avait entraîné une hypertrophie des secteurs de l'immobilier résidentiel et de la finance. Le boum masquait aussi une grande vulnérabilité structurelle des finances publiques qui, faute de mesures correctrices, pourrait être le déclencheur de la prochaine crise. Ne nous y trompons pas : les turbulences agitant les marchés autour des crises financières grecque, irlandaise et portugaise paraîtraient bien anodines, rétrospectivement, comparées aux dégâts qu'occasionnerait une perte de confiance des investisseurs dans la dette souveraine d'une grande économie.

Il est indispensable de s'attaquer au surendettement privé et public pour jeter les bases solides d'une croissance réelle forte et équilibrée, et stabiliser le système financier. Il s'agit à la fois de stimuler l'épargne privée et de prendre des mesures énergiques pour réduire les déficits dans les pays qui étaient au coeur de la crise.

Les leçons de la crise s'appliquent également aux économies émergentes. Les pays dans lesquels l'endettement alimente l'envolée des prix immobiliers et l'explosion de la consommation risquent de voir se creuser des déséquilibres semblables à ceux dont souffrent aujourd'hui les économies avancées.

Les déséquilibres mondiaux des paiements courants sont toujours là et font redouter, à terme, un ajustement désordonné des cours de change et une montée du protectionnisme. Mais les déséquilibres ne se limitent pas aux comptes courants. Ils concernent aussi les flux financiers bruts, qui font paraître insignifiants, aujourd'hui, les flux nets généralement associés aux paiements courants. Et ils posent peut-être des risques encore plus grands en favorisant d'éventuelles asymétries dans les bilans et en facilitant la transmission des chocs d'un pays à l'autre. Qui plus est, les financements transfrontières rendent possible une expansion rapide du crédit, même en l'absence de ressources financières intérieures. Comme nous l'a rappelé l'expérience des dernières années, tout renversement massif des flux de capitaux transfrontières peut mettre à mal les systèmes financiers et, en fin de compte, l'économie réelle.

Les déséquilibres des paiements courants et des flux financiers bruts sont liés et doivent être traités simultanément. Pour ce faire, il sera essentiel de mener des politiques macroéconomiques saines, tout en encourageant l'épargne dans les pays en déficit et la consommation dans les pays en excédent. L'ajustement des cours de change réels est indispensable également, mais ne sera pas suffisant en soi. Des politiques qui consolident les cadres prudentiels et l'infrastructure financière seront aussi nécessaires. Le contrôle des mouvements de capitaux, auquel il est préférable de ne recourir qu'en dernier ressort, ne peut être qu'un palliatif provisoire.

Pour indispensable et mutuellement bénéfique qu'il soit, l'ajustement auquel doivent procéder les pays déficitaires et excédentaires se heurte à un problème fondamental : une initiative unilatérale paraît toujours trop coûteuse. Une coordination internationale s'impose donc pour sortir de l'impasse.

Les défis à relever dans le domaine monétaire s'intensifient alors que les banques centrales prorogent les politiques accommodantes menées depuis longtemps déjà. La persistance de taux d'intérêt très bas dans les grandes économies avancées retarde l'ajustement indispensable des bilans des ménages et des établissements financiers. Elle accroît aussi le risque de voir resurgir les distorsions apparues avant la crise. Si nous voulons bâtir un avenir stable, il ne faut pas qu'en prenant des mesures pour amortir l'impact de la dernière crise, nous semions les graines de la suivante.

Les risques d'inflation ont globalement augmenté, sous l'effet conjugué d'une diminution des capacités inutilisées et d'un renchérissement des denrées alimentaires, de l'énergie et des autres produits de base. Le danger inflationniste qui, après les grandes économies émergentes, menace aujourd'hui les économies avancées, renforce les arguments en faveur d'un relèvement généralisé des taux directeurs. Cependant, certains pays doivent mettre en balance la nécessité de procéder à un resserrement monétaire et les vulnérabilités liées à des bilans et à un secteur financier encore fragiles. Mais, lorsque les banques centrales commenceront à relever leur taux, elles risquent de devoir le faire à un rythme plus rapide que lors des phases de resserrement précédentes.

Les mesures non conventionnelles touchent à leur fin, et les banques centrales doivent faire face aux risques nés du gonflement et de la complexité de leur bilan. Leur crédibilité durement acquise dans la lutte contre l'inflation pourrait être entamée si ces risques n'étaient pas maîtrisés, comme elle pourrait l'être en cas de resserrement monétaire tardif par les canaux conventionnels.

La réforme de la réglementation financière a enregistré des progrès impressionnants. Les accords internationaux visant à rehausser les exigences de fonds propres et à introduire de nouvelles normes de liquidité pour les banques ont pu être conclus sans délai. Néanmoins, la tâche est loin d'être achevée : c'est le cas, notamment, pour la mise en oeuvre rapide et intégrale de Bâle III, l'adoption de mesures visant à répondre aux risques associés aux établissements financiers d'importance systémique et la conception de régimes de résolution ordonnée en cas de faillite. Qui plus est, l'objectif visé reste mouvant : les opérateurs renouent avec le goût du risque et adaptent leur modèle opérationnel au nouvel environnement. Le dispositif prudentiel doit pouvoir s'adapter de manière à suivre et gérer les risques pour la stabilité financière, quel que soit son champ d'action.

La crise financière a mis en lumière des carences dans les données et les cadres analytiques utilisés pour évaluer le risque systémique, ce qui a entravé les efforts déployés par les autorités en vue d'identifier les vulnérabilités et d'y remédier. Pour s'acquitter de leur tâche, elles doivent disposer d'un tableau plus complet et plus précis du système financier, considéré sous des angles différents. Ce tableau, pour rendre compte des bilans sectoriels et de leur interaction globale, devra s'appuyer sur un plus large échange des données établissement par établissement au sein de chaque juridiction, mais aussi entre elles. Certes, ces données et cadres analytiques améliorés n'empêcheront pas les futures crises ; l'expérience laisse penser, toutefois, que les améliorations qui seront apportées permettront aux autorités et aux marchés de repérer des vulnérabilités jusqu'alors passées inaperçues et de détecter beaucoup plus vite celles qui pourraient se faire jour.