Rapport annuel BRI 2017 - Présentation à la presse

Présentation par Claudio Borio | Présentation par Hyun Song Shin

Présentation officielle par Claudio Borio, Chef du Département monétaire et économique de la BRI, le 21 juin 2017

Comme la situation peut changer en l'espace d'une année ! L'an dernier, à l'heure où le Rapport annuel était mis sous presse, la morosité régnait sur les marchés comme sur le front des politiques publiques. Les actions faisaient du surplace et les rendements obligataires s'approchaient de plus-bas historiques, la croissance économique semblant devoir rester atone encore longtemps. Les décideurs parlaient d'une « reprise anémique ». Dans ce contexte, le résultat inattendu du référendum britannique sur l'appartenance à l'Union européenne n'a pas manqué de porter un nouveau coup à l'humeur des marchés - dans un premier temps au moins. Les choses ont ensuite changé assez nettement. La morosité a laissé place à la confiance. Un autre événement politique, l'élection présidentielle américaine, a constitué un tournant pour les marchés financiers. Ceux-ci ont repris des couleurs et la volatilité est descendue à des niveaux très faibles, ce qui témoigne généralement d'un solide appétit pour le risque. Et si l'activité de marché fondée sur l'espoir d'une relance (« reflation trade ») a perdu de son dynamisme depuis le début de l'année, son empreinte demeure visible, notamment sur les marchés d'actions.

Les données objectives se sont elles aussi améliorées, mais pas autant que le sentiment des investisseurs. Nous avions déjà souligné l'an dernier que le discours ambiant sur l'économie mondiale était trop pessimiste. Une année d'amélioration aura donc suffi pour retrouver des conditions économiques sans précédent depuis la Grande crise financière (GFC). La croissance s'est sensiblement raffermie et devrait bientôt renouer avec ses moyennes de long terme. La sous-utilisation des capacités dans les grandes économies a encore diminué et, dans certaines d'entre elles, les taux de chômage sont retombés à des niveaux conformes au plein emploi. L'inflation, de son côté, s'est rapprochée des objectifs des banques centrales.

Il serait pourtant légitime de se demander si ce redressement du sentiment n'est pas excessif. Les doutes quant à l'avenir trouvent leur origine dans des tensions qui devront un jour être résolues, et dans des tendances de long terme qui pourraient finir par compromettre la croissance. Ces tensions apparaissent d'abord entre les mesures de la volatilité des marchés financiers, qui ont chuté, et les indices d'incertitudes concernant les politiques économiques, qui ont bondi. Elles se manifestent aussi entre les marchés d'actions, qui ont connu une forte progression, et les rendements des obligations d'État, qui n'ont pas augmenté en proportion de l'embellie des perspectives économiques. Et malheureusement, les tendances à long terme défavorables que nous avions baptisées du nom de « trio de menaces » l'année dernière n'ont pas disparu : croissance de la productivité anormalement faible, endettement historiquement élevé et marge de manœuvre extrêmement réduite pour l'action des pouvoirs publics.

Dans ce contexte, le présent Rapport annuel évalue dans le détail quatre risques à moyen terme pesant sur les perspectives économiques : une forte accélération de l'inflation ; des tensions financières liées à la phase de contraction des cycles financiers ; un essoufflement de la consommation qui ne serait pas compensé par une amélioration de l'investissement ; et enfin, une hausse du protectionnisme.

La sous-utilisation des capacités diminuant, voire disparaissant - et pas uniquement dans certaines grandes économies,  il est bien naturel de se demander si une envolée de l'inflation pourrait contraindre les banques centrales à resserrer leur politique monétaire et donc, nuire à l'expansion en cours. C'est en effet le schéma qui a été le plus souvent observé dans la période de l'après-guerre. Ces craintes pourraient toutefois s'avérer exagérées. Le lien entre les mesures locales de la sous-utilisation des capacités et de l'inflation s'est révélé étonnamment faible et flou durant les deux dernières décennies au moins. Les tensions sur les salaires demeurent particulièrement modérées. Quant à l'augmentation des coûts unitaires de main d'œuvre, ils n'ont guère permis de prévoir l'inflation dans les économies avancées. L'origine de ces tendances n'est pas bien établie. Nous avons avancé l'idée que le rôle de la mondialisation, et peut-être de la technologie, a été sous-estimé : toutes deux ont très fortement renforcé la concurrence sur les marchés du travail et des produits et ont, par conséquent, diminué la probabilité d'une réapparition des spirales salaires/prix observées par le passé. Si ces tendances profondes n'ont pas encore épuisé leur potentiel, l'expansion actuelle pourrait s'achever de manière différente.

Sa fin pourrait alors ressembler davantage à un boom financier ayant mal tourné, comme l'a bien montré la dernière récession. Les indicateurs avancés de difficultés financières signalent des booms financiers qui, dans un certain nombre d'économies, paraissent qualitativement semblables à ceux qui ont précédé la GFC. Les pays concernés ne sont pas ceux qui étaient au cœur de cette crise : là, la phase d'expansion du cycle financier est plus récente. Il s'agit plutôt de certaines économies de marché émergentes (EME), y compris les plus grandes, et de certaines économies avancées largement épargnées par la GFC. Dans ce groupe, une phase prolongée de croissance du crédit, souvent parallèle à une augmentation des prix de l'immobilier, est signe d'une accumulation des risques. Cependant, dans un contexte de taux d'intérêt inhabituellement bas, les ratios de service de la dette restent, jusqu'à présent, en dessous des seuils critiques. L'augmentation considérable, après la crise, de la dette en devises aggrave les fragilités de certains pays. De fait, compte tenu du rôle dominant de la monnaie américaine, le financement en dollar demeure un point sensible potentiel du système monétaire et financier international.

L'arrivée à maturité des cycles financiers et les niveaux élevés d'endettement pourraient entraîner un affaiblissement de la consommation et, dans certains cas, de l'investissement. Or, dans de nombreuses économies, la croissance a été tirée par la consommation. Les données empiriques montrent que ce type de croissance est moins durable. Selon nos analyses, un certain nombre d'économies caractérisées par une dette des ménages élevée peuvent être vulnérables, notamment si les taux d'intérêt devaient augmenter fortement. Quant à l'investissement, s'il a récemment connu un redressement bienvenu, pourrait-il échouer à se renforcer suffisamment ? Jusqu'ici, la hausse des indices d'incertitude politique ne semble pas avoir eu beaucoup d'impact. La forte progression de la dette d'entreprise en monnaie locale et en devises pourrait fragiliser l'investissement dans un certain nombre d'EME.

Un renoncement à la mondialisation, sous l'effet d'une montée du protectionnisme, serait plus difficile à évaluer, mais potentiellement plus dévastateur. C'est pourquoi nous consacrons un chapitre entier du présent Rapport annuel à la mondialisation. Hyun détaillera une partie de cette analyse dans quelques instants, notamment le lien sous-estimé entre mondialisation réelle et mondialisation financière. Je souhaiterais pour ma part souligner ici que, après la crise, les arguments protectionnistes ont gagné du terrain, et ce, bien que la mondialisation ait permis de sortir de la pauvreté des pans entiers de la population mondiale, et d'augmenter les niveaux de vie. Assurément, les bénéfices de la mondialisation n'ont pas été également répartis, notamment parce que les pays n'ont pas toujours été en mesure de s'y adapter. Et l'ouverture financière peut créer des difficultés, en termes de stabilité financière, auxquelles il convient de remédier. Mais faire machine arrière serait tout aussi inconsidéré que de revenir sur les progrès technologiques.

Le défi, en termes de politiques publiques, est de profiter des vents favorables soufflant actuellement sur l'économie mondiale pour assurer un socle plus robuste à la croissance. En premier lieu, il faut accroître la résilience, tant au plan local qu'à l'échelle mondiale. Il s'agit de renforcer la capacité de l'économie à absorber les chocs, à s'adapter aux tendances de long terme et à éviter l'accumulation de déséquilibres financiers - qui ont été à l'origine de la GFC et qui sont une source clé de risques à l'avenir. Au plan local, il convient de reconstituer les marges de manœuvre des pouvoirs publics en termes de politiques budgétaire et monétaire, et d'engager au plus vite des réformes structurelles - seule stratégie qui puisse assurer une base durable à la croissance. Alléger le fardeau qui pèse sur la politique monétaire est essentiel. À l'échelle mondiale, un renforcement de l'approche multilatérale est indispensable en termes de politiques économiques, de régulation financière, de gestion des crises, d'échanges commerciaux, de fiscalité et même de politique monétaire. Heureusement, nous vivons encore dans un monde profondément interconnecté. Les problèmes auxquels nous faisons face sont mondiaux ; leurs solutions doivent être mondiales elles aussi. Il serait illusoire de penser et d'agir autrement.

Présentation officielle par Hyun Song Shin, Conseiller économique et Chef de la recherche, le 21 juin 2017

Le philosophe René Descartes est connu pour avoir affirmé que le corps et l'esprit étaient distincts et que l'un pouvait exister sans l'autre. De la même manière, dans les débats sur la mondialisation, il existe parfois une tendance à établir une distinction nette entre ouverture réelle et ouverture financière, doublée de l'affirmation selon laquelle l'ouverture réelle, associée aux échanges et à l'investissement, serait possible sans l'ouverture financière.

En pratique, il est en réalité extrêmement difficile de séparer l'une de l'autre. La mondialisation réelle se traduit par un degré élevé de mondialisation financière, et il serait impossible de tirer parti de la mondialisation réelle sans un niveau important de mondialisation financière.

Il n'en reste pas moins vrai que, à l'instar des systèmes financiers nationaux, le système financier mondial est sujet à la procyclicité et aux excès. Sans contrôle, l'accumulation d'excès financiers peut aboutir à des crises financières coûteuses. La croissance en pâtit et les inégalités se creusent, sapant le soutien en faveur de l'ouverture qui a pourtant permis une plus grande prospérité. Un système financier résilient est nécessaire pour pérenniser les bénéfices de la mondialisation. Ce sont là quelques-uns des enseignements clés de l'analyse proposée par le chapitre spécial sur la mondialisation que nous publions cette année dans le cadre du Rapport annuel.

Concernant la difficulté de dissocier ouverture réelle et ouverture financière, prenons l'exemple du commerce international. Les échanges de biens manufacturés ont soutenu la croissance du commerce mondial. Le développement des échanges de produits manufacturés reflète de son côté l'importance croissante des entreprises multinationales et des chaînes de valeur mondiales. Dans le cas des États-Unis, les estimations existantes suggèrent qu'environ 90 % des échanges sont l'œuvre de multinationales, et qu'environ 50 % d'entre eux sont réalisés entre sociétés affiliées d'une même entreprise.

Le processus de production impliquant des chaînes de valeur mondiales longues et sophistiquées nécessite bien davantage de ressources financières, comme je l'expliquerai plus en détail dans la présentation vidéo qui sera publiée lundi. Habituellement, il revient aux banques d'assurer le financement, lequel a lieu très souvent en dollar ; et si les conditions financières se durcissent et que les banques ferment les vannes du financement en dollar, les chaînes de valeur mondiales sont à la peine.

Le financement du commerce international représente une petite partie de la finance mondiale, mais il marque le début d'une longue cascade de relations financières. Pour les entreprises exportatrices dont les produits sont facturés en dollar, telles que les compagnies pétrolières, il est logique d'emprunter en dollar pour financer l'investissement réel. De fait, nous avons observé ces dernières années d'importantes émissions obligataires en dollar de la part de grandes compagnies pétrolières d'économies de marché émergentes.

Mais la cascade de relations financières ne s'arrête pas là. Adoptons la perspective des gérants d'actifs dans les économies avancées. Ils ont des obligations envers des bénéficiaires ou des assurés locaux en yen, en euro ou en franc suisse. Mais tout portefeuille diversifié d'actifs mondiaux sera pour une large part composé d'actifs en dollar, précisément parce que les emprunteurs ont emprunté en dollar. Ces gérants d'actifs couvriront ensuite le risque de change. La contrepartie, une banque d'envergure mondiale, devra alors se délester du risque de change. Elle pourra à cette fin emprunter des dollars, cette position courte en dollar contrebalançant la position longue prise dans le cadre des services de couverture. De cette manière, de nouvelles créances financières découlent des transactions existantes dans l'économie réelle.

L'approche classique de la finance internationale consiste à traiter chaque pays comme une île. Nous mesurons le PIB de chaque île, et la balance commerciale détermine les actifs extérieurs nets.  Dans la pratique, la finance mondiale constitue plutôt une matrice de bilans imbriqués qu'un groupe d'îles. Cette matrice ne respecte pas la géographie. Il n'est pas possible de cartographier clairement les différents maillons du réseau entre les îles.

Ceci nous amène au débat sur la « démondialisation », largement couvert dans le chapitre spécial que lui consacre le Rapport annuel. Ce chapitre aborde l'idée selon laquelle la finance mondiale a connu son apogée et la démondialisation financière a commencé. Les tenants de cette théorie invoquent le recul de l'activité bancaire transfrontière.

From locational to consolidated local claims

Le cadre de gauche du graphique 1, extrait du Rapport annuel, montre bien une baisse de l'activité depuis la crise. Les créances transfrontières, qui avaient atteint un sommet, à 60 % du PIB mondial, en 2007, ne représentaient plus que 40 % dernièrement. Mais à l'instar de la représentation de l'économie mondiale en un ensemble d'îles, ces créances peuvent être trompeuses. Si une banque prête à une entreprise asiatique en commençant par transférer des fonds vers sa succursale londonienne, le montant prêté à l'emprunteur final fait l'objet d'une double comptabilisation dans les données sur les créances bancaires transfrontières. Ce type de montant apparaît deux fois dans les statistiques bancaires transfrontières, les transactions passant d'une île à l'autre. Les prêts et emprunts entre filiales d'une même banque sont connus sous le nom de positions intragroupe et sont représentés par la zone bleue du cadre de gauche du graphique 1. Ces transactions constituent une grande partie du total.

Les statistiques bancaires consolidées, qui mesurent les positions au niveau du groupe bancaire, peuvent donner une mesure plus parlante des prêts aux emprunteurs finaux. Pour obtenir une image plus complète, nous pouvons éliminer les positions intragroupe de la banque concernée et ajouter les éléments reflétant la véritable nature de sa présence mondiale. Le cadre de droite en propose une illustration en tant que « créances étrangères ». La perspective consolidée montre clairement que la réduction de l'activité bancaire internationale est largement circonscrite aux banques ayant leur siège en Europe. Les autres systèmes bancaires ont en réalité augmenté leurs créances étrangères en proportion du PIB mondial.

La conclusion n'est donc pas que la mondialisation financière s'est interrompue, mais plutôt que les banques ayant leur siège en Europe poursuivent le mouvement de consolidation initié après la crise.  Il s'agit donc d'une question de consolidation cyclique, faisant suite à une phase d'expansion non durable, plutôt que d'une modification de la tendance. En distinguant tendance et cycle, nous voyons que la mondialisation n'a pas entamé un franc mouvement de repli.

Toutefois, le graphique 1 montre aussi qu'à l'instar des systèmes financiers nationaux, le système financier mondial est sujet à la procyclicité et aux excès. Les crises financières jettent une ombre sur l'économie mondiale durant plusieurs années. Faire en sorte que le système financier soit résilient est le meilleur moyen de tirer parti de la mondialisation réelle. La coopération internationale en ce sens est plus importante que jamais.